" Tout commence à Sarajevo le 20 juillet 1992, quelques instants après l’explosion d’un obus. Un photographe, Luc Delahaye, enclenche son appareil. Le négatif développé laisse traîner sur la feuille glacée le corps d’une très jeune fille, Biljana Vrhovac, les cheveux longs, la robe blanche souillée de sang. Derrière elle, le corps inerte de son père. (...) Dans une époque où les images de guerre sont vulgarisées à l’extrême, le cliché circule dans les magazines et les journaux de par le monde, sans que l’autorisation en soit jamais demandée à la victime, la figeant, l’enfermant, la cloîtrant dans une image dans laquelle elle ne se reconnaît pas.
En 1996, dans For Ever Mozart, Godard reprend la photographie de Delahaye. Mais, pour lui, il n’est en aucun cas question d’acheter une icône de guerre à une agence photographique (...) et demande la permission de reproduire l’image à Biljana elle-même, et à personne d’autre. (...)
En 2004, afin d’offrir à Biljana Vrhovac la possibilité et le droit de se réapproprier son image si odieusement confisquée (...), Esther Frey lui consacre un documentaire. Elle lui donne la parole, l’occasion de décrire la manière dont l’existence de cette photographie a bouleversé son existence. (...) Esther filme Biljana de façon à lui tendre un tout autre portrait d’elle, un portrait fait par quelqu’un qui la respecte, l’aime et l’admire, un portrait, tout simplement, où quelqu’un la regarde en la laissant collaborer à son reflet dans l’oeil qui l’envisage. (...) Esther désirait redonner du mouvement à l’image figée de Luc Delahaye, lui laissant ainsi la chance qu’on ne lui avait jamais donnée
de jouer avec l’objectif." Dans ’Histoire de Biljana’ de Jean-Chistophe Ferrari.