“Pourquoi Chronique d’un été ? Tout simplement parce que Chronique d’un été est inépuisable : il est de certains films comme de livres ou de peintures, ils se trouvent juste au point de rencontres entre des forces qui en font des repères. Un des cinéastes les plus libres et inventifs de son époque rencontre Edgar Morin, sociologue dans la société, pas au-dessus, et élabore avec lui le projet d’un film dont "les acteurs seraient les auteurs du scénario", une sorte d’utopie démocratique du cinéma. Ensemble ils vont plus loin et organisent, plus que des rencontres entre les différents protagonistes, des vacances au cours desquelles, entre autres, se nouera subrepticement une émouvante et étonnante idylle. Et qui peut oublier l’échange entre un jeune lycéen tout juste arrivé du Sénégal et un ouvrier de Renault ? Un film qui invente le cinéma, plus encore : qui invente la vie qu’il filme ! C’est là, dans la force d’un film qui se construit devant le spectateur, devant ses protagonistes mêmes que le film apparaît comme un grand film moderne, moderne parce qu’il explore avec gourmandise des espaces inconnus en construisant au fur et à mesure ses propres règles, moderne parce qu’il annonce déjà la remise en cause de l’idéal productiviste et consumériste des trente glorieuses qui aboutira en 68. C’est ce foisonnement qui m’a ébloui tout jeune : "c’est ça que je veux faire" me suis-je dit tout bas. Bien plus tard, à la fin des années 80, le projet d’un film qui interroge son époque, Et la vie, portera la marque de Chronique d’un été.
Et tout récemment, alors que je finissais La république Marseille, je réalisais que, tout au long de mes films, je n’avais fait que poser la même question à ceux que je filmais, la question fondatrice formulée par Edgar Morin à Marceline Loridan : "Comment vous débrouillez vous avec la vie ?" Denis Gheerbrant